Le périple 39-45 de Jean Enard

Rencontre avec un ancien combattant roquebrunois...

Le périple 39-45 de Jean Enard

Rencontre avec Jean Enard, un Roquebrunois né au cœur de Carnolès il y a maintenant 101 ans. Fait prisonnier par les Allemands durant la seconde guerre mondiale, il livre un pan de sa vie. Un récit parsemé d’anecdotes mettant en lumière le destin hors du commun de cet ancien soldat.

Comme ses camarades ayant vécu la même époque, malgré quelques blessures physiques, Jean Enard est à peu près sorti indemne du conflit 39/45. Né le 12 juillet 1921 à Roquebrune-Cap-Martin au 216 avenue Aristide Briand, au cœur de Carnolès (anciennement avenue de Menton), il est le fruit d’un couple du cru, ses parents étant de Menton. Il avait un frère de trois ans son cadet, Roquebrunois également, entré en religion (frère Dominicain), et aujourd’hui décédé. Orphelins très jeune, les Frères Enard ont été élevés par leur grand-père maternel et leur tuteur, le chanoine Jules Enard, frère ainé de leur père.

De l’école à l’engagement militaire

Jean Enard va à l’école rue Victor Hugo dans une toute petite enceinte privée « le sacré cœur » qui accueille les garçons. « J’y vais jusqu’à l’âge de 10 ans, j’étais un enfant calme et très tôt je voulais être soldat car il y avait les chasseurs alpins à Carnolès », se souvient-il. Défilé militaire et musique entêtante le marquent dès ses premières années. Il poursuit ses études à Cannes (collège) à Stanislas au moment où il perd ses parents. C’est son oncle ecclésiastique qui devient son tuteur (le chanoine Enard). Il entre en seconde au lycée Sasserno à Nice, puis en première à Monaco, mais il échoue au Bac par manque de suivi familial. Depuis tout petit, il fréquente également le Cercle Jeanne d’Arc à Carnolès. C’est le capitaine Monchio du 25e bataillon de chasseurs alpins, féru de sports militaires, et le père libanais Younès qui s’occupent de ce patronage formant les garçons aux agrès. « Je disais toujours que je voulais m’engager dans l’armée, là-dessus la guerre est arrivée, j’avais 18 ans ». Il souhaite alors partir volontaire, mais son oncle temporise les ardeurs du jeune homme et organise un conseil de famille. Jean Enard part finalement pour la guerre en novembre 1939. « Je voulais aller dans la cavalerie, car quand on était gosse on allait au cinéma de Carnolès et aux informations on voyait ces régiments de spahis avec les burnous… », se souvient-il. Il fait ses classes à cheval pendant un mois à Montauban, puis il atterrit à Saumur au centre d’organisation mécanique de la cavalerie pour faire l’école des chars Hotchkiss jusqu’en avril 1940. Il est nommé brigadier. « Brigadier, c’est celui qui s’occupe de la tourelle, pas celui qui conduit », précise-t-il. L’instruction même pas achevée, le voici envoyé dans la région parisienne. Jean Enard est affecté au 4e régiment d’automitrailleuses début juin et a pour mission de freiner la percée du général Guderian pour protéger les divisions françaises d’infanterie qui battent alors en retraite, notamment la 14e division commandée par le général De Lattre de Tassigny.

Capturé par les Allemands

Jean Enard va se voir confier une mission de ravitaillement de munitions du côté d’Auxerre. Avec son chauffeur et son dépanneur, ils serpentent avec leur camion de 3.5 tonnes entre les civils amassés sur les routes fuyant la guerre. Une erreur d’orientation les mène sur une mauvaise piste du côté de Courson-les-Carrières. La nuit tombe et le trio va s’engouffrer dans une forêt pour y dormir. « Vers 4h du matin, on se réveille dans le froid et on entend des moteurs, on sort sur la route, malheureusement on est tombés sur les éléments précurseurs de la 1ère Panzer Division qui nous talonnait ». Les trois hommes sont capturés et emmenés sur Auxerre, puis parqués dans un champ durant deux mois dans des conditions atroces, « La faim nous obligeait à manger de l’herbe. Les mulets morts de l’armée française servaient parfois à faire de la soupe ». Les Allemands font même croire aux prisonniers qu’ils vont partir faire les moissons avant d’être libérés. Un mensonge pour éviter les velléités d’évasion. Jean Enard est alors embarqué dans un train à bestiau à Romilly-sur-Seine. Il y croise notamment la route d’un républicain espagnol ayant combattu Franco. Un homme rompu à la guerre. Il permet à Jean Enard d’apprendre la débrouillardise indispensable à la survie dans un camp de prisonniers de guerre. Le train s’arrête à Compiègne puis direction l’Allemagne. « On a vu alors de grands drapeaux nazis dans toutes les gares ». Le convoi dure cinq jours avec des soldats entassés dans les wagons. Nous sommes en juillet 1940. Les Allemands les affament, les plus résistants arrivent en Saxe, à l’Est de l’Allemagne du côté de Dresde/Leipzig. Direction le stalag(*). « Je suis allé au marché aux esclaves, un Allemand est venu et a embarqué dix personnes dont moi dans un autocar, on a traversé Leipzig et on est arrivés dans un patelin pour y travailler dans une fabrique de briques ». Il y reste pendant 13 mois. Jusqu’en 1941.

Des travaux forcés jusqu’à la libération

Jean Enard est ensuite affecté dans une fabrique de bouchons destinés aux pharmacies avant d’être à nouveau déplacé dans une ferme pour y démarier des betteraves. Un terrible labeur. Il y croise une déportée russe début 42, Kriste, « elle était traitée comme une esclave ». Il partage son savon et bien plus. Jean Enard se révolte pour la défendre. Convoqué chez le capitaine allemand qui gère les prisonniers de guerre, il est envoyé à la mine de charbon, à la section disciplinaire. « Je n’ai jamais été aussi bien », pouffe-t-il. Il est affecté au service ferroviaire, mais en fait la manutention va se révéler très légère du fait de l’équipement mécanisé des Allemands. 63 497, pour l’anecdote, c’était son numéro de prisonnier. Il s’en souvient encore. Il repart après six mois encore une fois dans une petite ferme où il est accueilli cette fois-ci en tant que cultivateur, « alors que ce n’était pas du tout mon domaine ». Il s’occupe des chevaux, parfois de façon gauche. En avril 1943, Jean Enard subit un grave accident de cheval qui l’envoie à l’infirmerie des prisonniers de guerre. Fort heureusement, il se rétablit avec beaucoup de repos et grâce aux soins du médecin Jean-Louis d’Antibes. « Je suis resté là jusqu’à la libération. Le corps d’armée allemand s’est replié vers l’est, nous on a marché pendant huit jours avec les Allemands qui se servaient de nous pour ne pas être mitraillés par les Américains. Le soir du 7 mai, on était dans une grande forêt de chênes, les Russes étaient repliées derrière l’Elbe et n’avaient pas réussi à le traverser, les Allemands ont préféré se rendre aux Américains. On était enfin libres et après avoir marché toute la nuit, on est tombé dans les bras des Américains ».

Un retour difficile dans la vie civile

Le retour en France se fera dans un avion transportant les parachutistes américains au Bourget. « On a reçu un verre de Cognac ! ». Jean Enard à presque 24 ans à la sortie de la guerre, marqué à vie par cette période. « J’ai tourné un peu dans la vie civile, il y avait les Américains à Nice, mon cousin traficotait un peu avec eux les cigarettes, j’ai fait la mule sans le savoir… », avoue-t-il. Jean Enard va finalement se réengager dans l’armée au sein de l’escadron du train à Marseille « J’ai été nommé Brigadier-chef puis Maréchal des logis. J’ai fait ma carrière militaire jusqu’à 46 ans après avoir combattu notamment en Indochine ». Jean Enard finit sa carrière professionnelle dans le génie civil à 60 ans. Il s’est marié avec Claudine, une Vosgienne, et a eu trois enfants. Aujourd’hui, il vit toujours dans la maison qui l’a vu naitre avec son épouse.

Ses distinctions militaires

Termine sa carrière en tant qu’adjudant-chef

Médaille militaire

Chevalier de l’ordre national du mérite

Croix du combattant volontaire 39/45

Titre de reconnaissance de la Nation (39/45, Indochine et Algérie)

Croix du combattant volontaire

Médaille commémorative française de la guerre 39/45

Médaille coloniale avec agrafe « Extrême-Orient »

Médaille commémorative de la campagne d’Indochine

Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre en Afrique du Nord

La rencontre avec De Lattre de Tassigny

Lorsqu’il rentre de la guerre, Jean Enard fait toujours partie de l’armée, il est envoyé à l’école des cadres d’Audinac-les-Bains. Pendant trois mois, il travaille physiquement (parcours du combattant, saut en hauteur, manœuvres de nuit…). En fin de stage, tous les pelotons sont reçus par le général De Lattre de Tassigny qui vient inspecter l’école. Son peloton, le 8e, est affecté à la piscine. De Lattre, grand fan de natation, voulait que tous les soldats sachent nager, mais peu de combattants pratiquaient la discipline à l’époque. Jean Enard, Roquebrunois de naissance, passera naturellement les épreuves sans difficultés. De Lattre de Tassigny l’interpelle et lui demande d’où il vient. Jean Enard lui dit qu’il a notamment fait partie du 4e régiment d’automitrailleuses, lequel a protégé sa division durant la guerre. « Il s’est souvenu de nous, je peux vous dire que De Lattre de Tassigny, c’était quelqu’un ! », assure Jean Enard qui conserve ce souvenir comme une certaine forme de reconnaissance.

 

(*) Camp de prisonniers de guerre non officiers, en Allemagne (1940-1945).